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4 septembre 2014 4 04 /09 /septembre /2014 22:40

Tout d’abord, c’est un livre qui parle d’une rivalité. Celle entre deux milliardaires new-yorkais, anciens amis à Harvard, qui ne sont plus vraiment amis depuis que l’un d’eux (appelons-le M – comme Méchant) est persuadé que l’autre (que nous appellerons G – comme Gentil, même s’il ne l’est pas trop, en fait) a tué sa femme, vingt ans auparavant, en tirant avec une carabine dans le pneu de sa voiture (gardez à l’esprit qu’il est ici question de milliardaires). Tirer dans le pneu d’une voiture, reconnaissons-le, n’est pas forcément le meilleur moyen de tuer quelqu’un. Il aurait pu, puisqu’il est visiblement très bon tireur, viser directement la tête. Quoi qu’il en soit, l’enquête a conclu à un accident – la voiture passant près d’un stand de tir, on a pensé à une balle perdue.

M, donc, 20 ans après, au moment où G va inaugurer son extraordinaire building sur Fifth Avenue, décide de se venger. Pour cela, il demande à un tueur à gages de s’introduire sur le toit dudit building pour y poser trois petites bombes, visiblement destinées à rendre inutilisables les projecteurs situés sur le toit. La vengeance réussit, mais, comme on pouvait s’en douter, tout le monde s’en fout, un peu comme s’il avait balancé une tranche de pain de mie du 55ème étage.

Mais ce n’est pas fini, loin de là. Le machiavélisme de M, après toutes ces années, ne connaît aucune limite. Il demande donc à son tueur à gages (les milliardaires, on le verra, ont tous à leur disposition des tueurs à gages) d’aller pirater les ordinateurs de G pendant la soirée d’inauguration. Bon, là ça ne marche pas vraiment, puisque la fille de G – que nous appellerons H sans aucune raison, qui travaille pour lui, rentre elle aussi dans l’appartement pour une raison quelconque. Le tueur pourrait la tuer, mais, pour une raison là aussi quelconque, il ne le fait pas. Mais ensuite, R, la sœur rebelle (il y a toujours une sœur rebelle dans les histoires de milliardaires) arrive elle aussi dans l’appartement avec l’ex-petit ami de H, et ils commence à mutuellement s’entreprendre. Lorsqu’ils pénètrent dans la chambre, sous les yeux de la chatte de la maison – qui s’appelle Isobel –, le tueur à gages, qui a hérité du machiavélisme de M, s’empresse d’aller dire à H que R veut lui parler. Evidemment, H tombe sur R chevauchant son ex-boyfriend, et cela ne lui plaît pas du tout. Elle redescend demander au tueur si c’est vraiment sa sœur qui lui a demandé de monter. Il acquiesce avec le sourire en coin du machiavélique. Pendant ce temps, l’ex, un peu énervé, commence à tabasser R, puis s’en va. R, quant à elle, se fâche avec son père et décide de trouver du travail.

A ce stade du récit, il convient de signaler que M a un fils, F, qui est à la fois écrivain célèbre ET acteur à succès (une sorte de Bret Easton Pitt) ; cependant, comme nous sommes aux USA, où les journalistes respectent la vie privée des gens célèbres, personne ne sait que F est le fils de M. Ils ne se sont pas vus depuis 15 ans. Tu peux également en profiter pour introduire D, le meilleur ami de G, dont personne – sauf M bien sûr, dans son machiavélisme omniscient – ne sais qu’il est A LA FOIS homosexuel et drogué – et lorsque tu écris « à la fois », tu veux dire qu’il pratique ses activités d’homosexuel et de drogué en même temps ; le reste du temps, il se tient plutôt bien, et est proche de R.

L’histoire vous paraît embrouillée ? C’est très loin d’être fini. F est ruiné (ne dites pas que c’est impossible puisqu’il a à la fois les revenus de Brett et ceux de Brad). Du coup, M, allant toujours plus loin, a engagé à Los Angeles un faux mafieux pour lui faire un prêt – sachant que, puisqu’il ne l’a pas vu depuis 15 ans, c’est logiquement vers lui qu’il reviendra lorsque le faux mafieux menacera de lui casser les jambes. Les jambes cassées, c’est ce qui arrive à l’ex, parce que R, en sa qualité de rebelle, était autrefois sortie avec le fils d’un parrain de la Mafia qui a accepté de lui donner un coup de main – ou, dans ce cas, de batte de base-ball. Du coup l’ex, qui a aussi ses relations, appelle un tueur pour faire sauter le caisson de R ; mais le tueur la trouve si belle qu’il lui laisse son revolver pour qu’elle le fasse elle-même car ce serait plus simple pour tout le monde. Pendant ce temps-là, le tueur de M tue le chien de F, et M engage un psychopathe pour faire semblant de vouloir tuer F – mais le psychopathe devient évidemment incontrôlable et veut vraiment tuer F, lequel entre-temps a commencé à écrire un manuscrit en ayant soudain l’idée que, puisqu’il est un auteur à succès, il lui suffirait de montrer quelques pages à son éditeur pour obtenir une avance et ainsi éviter d’obéir à son père ; heureusement, après que le psychopathe a lu le début du manuscrit – qui, d’une manière totalement inconcevable, est exactement l’incipit du roman que tu es en train de lire – et y a mis le feu, ainsi qu’à tout l’appartement de F, celui-ci réussit à tuer le psychopathe, aidé par le tueur à gages.

Il est ici nécessaire de faire un petit retour en arrière : M, toujours plus machiavélique, a profité d’une soirée sur un bateau où D, séduit par un serveur à sa solde, est parti s’isoler dans une chambre pour pratiquer ses activités de drogué homosexuel, pour filmer ses ébats ; puis il l’a fait chanter, notamment pour qu’il convainque R de venir le voir ; il lui a offert un poste à responsabilités, qu’elle a accepté pour embêter son père. Mais, de manière totalement incroyable, il a également demandé à son fils de bien vouloir séduire R et l’épouser.

Ce qu’après avoir été sorti de son appartement en flamme, et alors que R a demandé à son ami mafioso de s’occuper du tueur envoyé par l’ex, il s’empresse de faire – à Monte-Carlo où, comme chacun sait, on peut se marier un peu comme à Las Vegas.

C’est là que tu as commencé à décrocher.

De ce que tu es arrivé à lire ensuite, il ressort que H a trouvé l’Amour avec le remplaçant de son ex dans la boîte de G ; elle lui demande de l’accompagner à la soirée sur le bateau, même si elle sait que les soirées c’est pas son truc (il est plutôt tranquilou comme type). Il accepte seulement si elle l’accompagne le lendemain faire du saut à l’élastique. Et là, tu te dis clairement What the Fuck ? Des milliardaires new-yorkais qui pratiquent le saut à l’élastique le weekend ? Mais tu avoues que tu ne t’attends pas à la suite – et ce n’est pas un compliment. Lorsqu’ils arrivent au lieu du saut, elle veut sauter avec un bandeau sur les yeux. Le responsable du saut se demande (POURQUOI ?) si ce n’est pas dangereux de sauter avec un bandeau sur les yeux : personne n’a jamais sauté avec un bandeau sur les yeux. C’est alors qu’arrive le tueur à gages, qui propose de sauter avec un bandeau sur les yeux. H, qui lui a parlé plusieurs fois à la soirée d’inauguration, ne le reconnaît pas – il porte des lunettes de soleil, qu’il n’enlève sans doute pas pour mettre le bandeau.

Pour faire vite, le tueur saute, H saute ensuite, ils sont sur un bateau au-dessous du pont avec un employé, le tueur s’arrange pour faire chavirer – comment ? – le bateau, puis, après avoir envoyé l’employé chercher des secours, et alors que le nouveau boyfriend de H saute à son tour lorsqu’il voit que sa dulcinée est en danger, il réussit à traîner H au fond de l’eau, à lui attacher la corde de l’ancre autour de la taille, et à se barrer. Lorsque le boyfriend a fini de rebondir dans les airs, H est noyée.

Rappelons que le tueur aurait eu la possibilité de tuer H au premier chapitre, alors qu’il était seul, armé, avec elle dans un appartement au soixante-dixième étage d’un building ; mais il a préféré la tuer sous les yeux de nombreux témoins, avec un plan qui impliquait qu’elle veuille sauter avec un bandeau sur les yeux – sans quoi, elle aurait sauté, le boyfriend aurait sauté, et il aurait été marron.

Pour tout dire, ce n’est même pas à ce moment-là que tu as décidé, pour la première fois de ta vie, d’abandonner un livre en cours de lecture ; mais quand tu as constaté, alors que le boyfriend disait aux parents de H qu’elle avait été assassinée et que, contrairement ce que disait sa mère, le saut à l’élastique n’était pour rien dans sa mort, que le chat de la maison s’appelait maintenant Isadora.

Ce qui prouvait définitivement que tu n’étais pas le seul à être perdu.

 

 

Tu tiens bien entendu à disposition des lecteurs intéressés le titre du livre, ainsi que son auteur.

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22 août 2014 5 22 /08 /août /2014 12:31

Tu le sais depuis longtemps ; à toi seul, tu seras à l’origine d’un mot. Il ne te reste qu’à l’inventer.

Tu n’as pas encore fait ton choix ; plusieurs possibilités s’offrent à toi. La plus évidente est « photodébile », mais les bons penseurs risquent d’y voir une atteinte au politiquement correct. « Photomédiocre » est une autre alternative, qui ne te réjouit qu’à moitié. Il y a aussi, tout simplement, « photolaid ». Quoi qu’il en soit, le futur antonyme de « photogénique », quand il sera choisi, te décrira parfaitement.

Lorsque, par inadvertance, un miroir croise ta route, et que tu pousses ta vanité jusqu’à t’y contempler, ce que tu y vois, bien que loin de provoquer ta joie, reste relativement convenable – à condition de ne pas avoir des canons de beauté trop précis, bien sûr. En revanche, dès que tu te retrouves sur une photo, le résultat est inévitablement horrible : une allure contre-nature (et délicate à visualiser)de baleineau simiesque – tes bras semblant dotés d’une volonté d’aller dans des directions opposées à ce qu’ils devraient faire –, des formes flasques et comme figées dans des positions inacceptables pour la physique, un regard torve – en général, un œil est quasiment fermé alors que l’autre pointe ailleurs, comme perdu –, une bouche toujours tordue dans un rictus digne de Quasimodo, voilà ce qui ressort de toutes les tentatives photographiques te concernant. Et cela ne date pas d’hier : tout petit, déjà – tu te souviens avec épouvante d’une photo de communion dans laquelle tu ressembles à un mélange entre Luke Skywalker jeune et une bougie dégoulinante – tu étais photolaid.

Ce qui est nouveau, dans tout cela, c’est qu’aujourd’hui, en plus de ces tares récurrentes, tu es vieux.

Récemment, tu as eu affaire à certains tirages (qui, pour le bien-être de tous, resteront à jamais virtuels – tu ne remercieras jamais assez la photo numérique), qui, bien que pris sous le soleil implacable des tropiques, en plus de n’être pas à ton avantage, te donnaient une allure de septuagénaire relativement bien conservé, le genre de vieux laid, barbe blanche et traits flous, qui essaie de donner bravement le change tout en sachant qu’il n’y arrivera pas. Tu ne sais pas si c’est ta photomédiocrité ou juste le fait que tu étais affublé d’un tee-shirt de baignade ultra-moulant d’un blanc immaculé, mais tu peux promettre à tes lecteurs que cette vision d’horreur dépassait celle de la coupe de cheveux de n’importe quel footballeur.

Mais cela n’a pas que des inconvénients : tu vas de ce clavier écrire à D’Ormesson pour lui proposer un nouveau mot pour le Dictionnaire de l’Académie.

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13 juillet 2014 7 13 /07 /juillet /2014 12:33

 

Dans quelques heures, des millions de femmes sur la planète vont retourner, les yeux rougis, les pantoufles lourdes, à leur triste réalité, à leur quotidien rabougri ; à leur mari. Ou plutôt leur mari, telle la sangsue, va, après un mois d’extase télévisuelle et footballistique – le lecteur remarquera qu’aujourd’hui, tu as très envie d’employer des adjectifs – durant lequel leur fessier aura imprimé sa marque sur le cuir rance du canapé, délaisser les pizzas et la bière pour revenir exercer son premier métier : emmerder sa compagne. Dès lors, il ne restera plus à ces femmes qui, pour certaines, viennent de découvrir, durant ce mois où elles ont pu lire, aller au cinéma, sortir entre amies, la liberté matrimoniale, qu’à attendre la prochaine – ou à se débarrasser de leur mari. Il ne serait pas étonnant que les homicides conjugaux connaissent une forte hausse durant les prochaines semaines.

Cette Coupe du Monde a permis de faire une avancée décisive dans le domaine de la théologie : on sait maintenant avec certitude que Dieu est bien une femme. S’il était un homme, il aimerait le football, et il aurait évidemment tendance – on ne se refait pas – à avantager les types qui, de plus en plus nombreux, avant le début du match, à la mi-temps, avant de tirer un coup-franc ou à la fin de la partie, se signent, prient les mains tournées vers le ciel ou la tête entre les mains, embrassent le gazon ou se jettent carrément à genoux en psalmodiant, index pointés et regard habité. Mais ceux-là se sont, comme on dit au café du coin, pris de sacrées branlées. De quoi accréditer la thèse selon laquelle, pendant les matches, Dieu était au cinéma.

Tu as également pu constater que l’idée des chaînes de télévision d’engager d’anciens joueurs de football pour servir de consultants avait ses limites, en particulier lorsque celles desdits consultants étaient trop visibles. Tu as pu, au cours des quelques soirées passées devant ton écran, relever des lapalissades de bon goût (« c’est parce qu’ils sont trop statiques que les Brésiliens n’avancent pas »), des approximations lexicales (« la faculté des Hollandais à ne pas se trouver ») ou, grande spécialité du consultant limité, beaucoup trop de phrases nominales (« Pas assez de combativité. », « Trop d’imprécision. »). Pour l’instant, tu dois convenir que cela ne concerne qu’un petit nombre de consultants (un seul en réalité), mais, si l’on prend en compte le niveau actuel des joueurs de football, il est probable que, d’ici 20 ans, l’on passe de très bonnes soirées devant son écran.

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29 mars 2014 6 29 /03 /mars /2014 18:21
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T’es-tu déjà senti aussi bien que lorsque tu déambulais tranquillement dans midtown, les derniers rayons d’un soleil de printemps caressant les cimes des gratte-ciels, ta fille – qui, nonobstant sa volonté, sans cesse renouvelée et dirait-on presque inextinguible de te pourrir l’existence, te ressemble tellement – à tes côtés ? T’es-tu déjà un jour senti aussi vivant que sur la sixième ou Park, frôlé par le ballet incessant des manteaux des hommes d’affaires rentrant chez eux tels des Bruce Wayne pressés, humant l’air électrique dans lequel flottaient les dernières effluves des parfums des working girls en trainers ? Te sentis-tu déjà plus toi-même que, alors que l’Empire State allongeait sa flèche de cristal par-dessus les arbres de Bryant Park et qu’une sirène de pompiers retentissait dans le début de nuit, la lune soudain glissa son œil d’acier derrière le géant ? Te sens-tu davantage en osmose avec ton environnement qu’appuyé contre une bouche de métro de la ligne B, dans les torrents de vapeur surgissant des tuyaux orange, une slice déjà à demi mangée pliée en deux dans ta main ?

New York à chaque fois a cet effet sur toi ; comme si la ville voulait te dire que tu es a part of it, comme si les lumières allaient t’engloutir à jamais, comme si tu n’allais pas repartir dans quelques jours au-dessus du ruban gris de l’Atlantique. Comme si les bras de fer des buildings allaient gentiment se refermer sur toi comme une grand-mère aimante.

Toutefois, comme pour atténuer un peu ta peine, Manhattan, aujourd’hui, est apparemment surtout habitée par des hipsters. Ils se reconnaissent facilement à leurs pantalons étriqués aux couleurs fanées, leurs gilets de laine passés à la va-vite sur des chemises à carreaux, leurs longs bonnets retombant négligemment sur leurs épaules, et surtout leurs barbes qu’on dirait empruntées à des bûcherons canadiens. Bien sûr, des variantes existent : les chipsters sont en léger surpoids, les jewsters portent la kippa à la place du bonnet, et les malchanceux présentant une pilosité faciale impropre à la barbe surdimensionnée se contentent – courageux ou simplement aveugles – de la moustache. Et, voici bien un point où New York est bien semblable à tous les autres endroits du monde : on peut ici aussi dire que, hormis Zorro, Magnum ou une tripotée de dictateurs pour qui elle fait partie de la panoplie, la moustache n’est jamais le bon choix.

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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 16:46

 

Tu dois le reconnaître : il n’y a pas que des inconvénients à être un écrivain que personne, exceptés quelques membres de ta famille polis ou deux-trois amis désœuvrés désirant diriger un instant leurs yeux à l’opposé des réseaux sociaux, ne lit.

Le premier avantage, bien entendu, est que tu peux écrire n’importe quoi. Tu te souviens encore de cette maison d’édition qui aurait bien aimé publier ton roman, mais qui voulait pour cela que tu en changes la fin. Nul doute que, si tu avais été aux abois, te nourrissant de graines prélevées sur des arbres sauvages, tu aurais volontiers accepté. En refusant, tu as gagné le droit d’écrire ce que tu voulais – quitte à ce que ce soit incohérent, ou même illisible.

Le second avantage découle du premier : puisque tu écris ce que tu veux, tu n’as aucune pression du résultat. Ce qui est quand même relativement agréable – ça ne remplit pas la marmite, mais c’est agréable.

Dans ton cas précis, la combinaison de ces deux avantages aboutit à une chose assez curieuse : tu, inspiré comme jamais par une idée qui va pour les Siècles de Siècles inscrire ton nom dans l’Histoire de la Littérature, commences ton Grand Œuvre ; puis, après une période assez variable – disons, entre quinze lignes et vingt pages – cette idée, faute d’obligation de résultat et grâce à ta propension à écrire n’importe quoi, cesse de t’intéresser, et est abandonnée comme un con de clébard sur une aire d’autoroute.

En parcourant d’un œil bienveillant la somme de ces écrits où, transsubstantiquement, les octets patiemment alignés se métamorphosent en tas de bouse, tu as pu repérer quelques incipits de légende, dans lesquels tu revisites les genres littéraires pour les faire tiens.

On peut y trouver, parmi beaucoup d’autres trucs, une resucée Kerouacienne aux accents Djianiens ;

« … Alors je suis parti. Mes chaussures avaient été inventées pour des pays sans graviers, et tout autour de moi des vautours tournaient sans but apparent ; mais je suis parti. En ces temps-là, je portais pour tout bagage une besace vide. Le ciel était zébré de rouge, un peu comme une Ferrari. Des tas de choses dans ce monde valaient peut-être la peine, mais je n’en voyais pour le moment aucune. J’avais trente-trois ans ; peut-être trente quatre. »

une tentative d’incursion dans l’univers du polar américain façon Ellroy ;

« Linda Lee était penchée sur l’évier ; Toni, judicieusement placé à deux mètres derrière elle, avait les yeux fixés sur son cul, qui bougeait lentement de droite à gauche comme un balancier de pendule – un balancier de pendule qui aurait eu la parfaite rotondité de deux melons de belle taille. »

quelques lignes visiblement Bukowskiennes ;

« On dit que certains peuvent vivre sans alcool. On dit aussi qu’il est important de vivre ; est-il pour autant important d’exister ? A côté de moi, un type ne se pose plus la question. Il est étendu sur le dos, ses bras dessinent de petits cercles alors qu’il chante lentement une berceuse de son enfance ; autour de son visage des papillons vont et viennent tels de petits vautours. Seize heures dans un bar de Séoul : le bon moment pour mourir un peu. »

ou encore un début typiquement Ellisien :

« Ce soir, le rendez-vous est au Duplex. J’ai juste une minute pour prendre une douche, et j’y vais. Il ne faut jamais trop tarder là-bas. J’ai eu une putain de dure journée, heureusement il me reste un peu de poudre sinon je ne tiendrai pas ; d’un autre côté je vais encore passer pour le type le plus speed de la place, mais tout le monde croque une chose ou l’autre, alors ça ne pose pas de problème. Je n’ai plus un tee-shirt propre, il ne me reste que cette affreuse chemise à pois même pas moulante, je ne sais pas où j’ai acheté ça, une fripe de KW certainement un jour où j’étais euphorique. Quoi qu’il en soit, je suis vraiment trop CREVE pour penser à ces choses-là. »

Rien, donc, qui menace vraiment d’enterrer la Littérature. Elle peut dormir tranquille jusqu’au prochain roman de Foekinos. Mais attention quand même : tu n’as pas écrit ton dernier mot.

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13 février 2014 4 13 /02 /février /2014 22:16

A mesure que l’humanité se perfectionne, l’homme se dégrade ; quand tout ne sera plus qu’une combinaison économique d’intérêts bien contre-balancés, à quoi servira la vertu ? Quand la nature sera tellement esclave qu’elle aura perdu ses formes originales, où sera la plastique ?

Gustave Flaubert, Pensées

Hell is empty

And all the devils are here.

Shakespeare, The Tempest, Acte I, scène 2

 

Disons-le tout net : tu n’es pas communiste (tu sens poindre, à ces mots, l’araignée turgescente du doute au sourcil de tes lecteurs – comment cela, m’aurait-on menti ? Lui qui semblait si humain, si enclin à s’apitoyer sur le sort peu enviable de ses congénères ? Lui qui laissait volontiers sa barbe atteindre des dimensions quasi Marxistes ? Il ne serait donc pas communiste ?).

Que l’on n’en doute pas : tu aimes le communisme, un peu comme tu aimerais une grand-mère un peu fripée atteinte d’une maladie dégénérescente, que tu viendrais visiter à tes heures perdues dans sa maison de retraite pleine d’odeurs indéfinissables et de bruits obsédants, que tu regarderais avec tendresse te raconter sa vie d’avant, puis avec horreur lorsqu’elle – par un quelconque basculement instantané de son esprit – commencerait à te prendre pour son oncle avant de se mettre à insulter les infirmières.

Le socialisme est, justement, plutôt un vieil oncle patelin, qui avec ses airs enjôleurs arrive souvent à la fin du banquet à profiter de l’état fluctuant des convives pour leur soutirer leur argent afin d’aller courir la gueuse à Bruxelles ou à Amsterdam.

Le capitalisme, lui, ne se prend pas pour un autre. Voilà sa force inaltérable, son coup de génie ; parmi toutes les doctrines politiques, elle est la seule à avoir bâti son idéologie sur un constat qui, pourtant, semble si évident que l’on ne peut guère passer à côté : l’homme, proclame le capitalisme après Shakespeare ou Flaubert, est mauvais. Tout simplement mauvais. Par essence.

Dès lors, tu es obligé de reconnaître, bien malgré toi mais en étant forcé de t’incliner comme l’on s’incline sur le passage d’un ennemi honni mais vainqueur, dont on admet le mérite, la supériorité du capitalisme. Les tenants de toutes doctrines humanistes pourront bien gesticuler, taper du pied dans leurs chaussures allemandes, réfléchir, vouloir donner des valeurs à ces êtres imparfaits que nous sommes, au bout du compte, nous savons tous qu’un être humain normalement constitué essaiera par tous les moyens de tirer le meilleur parti possible de toute situation, sans tenir aucun compte des autres êtres humains qui l’entourent.

Bien sûr, tout le monde n’est pas mauvais ; cependant, la plupart des bons, des courageux, des héroïques, finit dans un embrasement subit, immolée au beau milieu de la place d’un village tibétain au moment du marché. Les autres, ceux qui essaient de te faire croire qu’ils sont philanthropes, charitables ou simplement bienveillants, le font en général pour essayer de te convertir à quelque religion, pour que tu adhères à leur parti, ou plus simplement pour te casser les couilles.

 

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21 janvier 2014 2 21 /01 /janvier /2014 11:54

 

Blame it on a simple twist of fate

Bob Dylan

 

 

Il eût suffi de presque rien – un simple coup de flagelle d’un de tes concurrents qui lui eût permis de te coiffer d’un poil sur l’œuf, un essoufflement prématuré, un engorgement subit de la circulation, une mauvaise décision quant à la direction à prendre, ou tout simplement un désintérêt pour la course – pour que tu ne vinsses pas au monde sous la forme aléatoire sous laquelle tu es aujourd’hui connu.

La question se pose alors : aurait-il existé, dans les millions de possibilités inexploitées, au milieu de tous ces spermatozoïdes agonisant au pied du Graal, une meilleure version de toi ? Bien que, en y réfléchissant de plus près, cette question ne se pose pas du tout ; la probabilité d’un meilleur toi est non seulement concevable, mais hautement probable.

En fait, il est tout à fait envisageable que, non seulement, tu ne sois pas la meilleure version de toi-même, mais que tu sois également la pire. Soyons réaliste : si l’on observe notre civilisation, on peut aisément constater que ceux qui arrivent au sommet – les petits caïds de collège les politiques les traders les patrons voyous – sont en général assez représentatifs de la tendance de l’humanité à l’inhumanité. Pourquoi serait-ce différent in utero ? Il n’est pas difficile d’imaginer que le plus brutal des spermatozoïdes puisse terroriser les plus fragiles jusqu’à s’assurer la conquête finale. Du coup, tu ne peux t’empêcher de penser que la compagnie entière de gamètes d’où est issue la version finale de ton être était presque entièrement composée de futurs Einsteins, de Beethovens en devenir, de possibles Baudelaires, et qu’un Rambo à grosse tête les a tous matés avant de s’assurer le passage victorieux.

Bien entendu, tu sais pertinemment que, dans le lot, on devait également trouver quelques Le Pens, un petit nombre de Dassaults, voire des participants à des émissions de télé-réalité ; tu peux dire que tu l’as quand même, de ce côté-là, échappé belle. Même si, tout bien considéré, un Chti à Miami, ne sachant pas où est situé son cerveau, n’aurait pas pu mener une réflexion si déstabilisante pour son soi profond, et ignore donc qu’il aurait pu, juste sur un simple concours de circonstances, être quelqu’un d’un peu plus gâté, mentalement parlant.

Tes lecteurs remarqueront sans doute – parce qu’ils ont, eux, été avantagés par la nature – que tu n’as pas mentionné l’aspect physique de la chose : non que tu ne penses pas que tu aurais pu ressembler à Daniel Craig – sans avoir à t’appeler Daniel – mais tu dois avouer que le choc intellectuel prévaut pour le moment, et que tu n’as pas eu le loisir d’examiner toutes les possibilités qui auraient pu découler d’un métabolisme et d’une apparence autre que la tienne ; ce sera peut-être l’objet d’un autre billet – à moins que l’issue de ces réflexions te paraisse trop déprimante pour être publiée.

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4 janvier 2014 6 04 /01 /janvier /2014 11:04

Tu ne crois pas vraiment aux bonnes résolutions. Si l’on observe attentivement celles-ci,

 

– Je me raserai la moustache ;

– Je cesserai d’en vouloir à Monsieur Greenbaum pour cet incident avec le bouc ;

– Je n’envahirai plus aucun pays limitrophe de l’Allemagne ;

 

récemment retrouvées dans un carnet ayant appartenu à un Certain Adolf H. et datées du 1er janvier 1939, on comprend aisément qu’il n’est rien de plus difficile à tenir qu’une Bonne Résolution.

C’est pourquoi, malgré l’attente de tes nombreux admirateurs qui espèrent te voir prendre des positions radicales pour cette nouvelle année – qu’au passage tu souhaites bonne à tous ceux qui lisent ces lignes – tu ne feras pas de liste. Ou, plus précisément, pas de liste de bonnes résolutions. Malgré la déception que tu sens poindre sur les visages de ceux qui, collés à leur écran, espéraient que tu prendrais enfin la résolution cette année, d’écrire le Grand Roman Français qui ferait sortir le pays du nid-de-poule dans lequel il se terre comme un œuf fraîchement pondu – on sent la déception poindre sur un visage au niveau de la lèvre supérieure, qui se met à légèrement trembler comme sous le coup du chagrin ; ou plutôt aux rides extérieures des yeux, qui se plissent légèrement comme face au soleil ; ou plutôt au nez qui, soudain, ordonne à ses narines de se dilater comme sous l’effet d’un manque d’oxygène – tu tiendras bon.

Pour cette année en effet, à fin d’expérimentation scientifique, tu as décidé de vérifier la véracité de la réciproque au théorème de Shümann-Werber (aussi appelé « théorème des Bonnes Résolutions », et qui proclame que « plus une résolution est bonne, plus elle est difficile à tenir »). Il te semble en effet intéressant d’observer l’attitude des Mauvaises Résolutions, afin de voir si elles se comportent comme leurs consœurs, ou à l’inverse.

Tu vas donc établir une liste de Mauvaises Résolutions, noter scrupuleusement les résultats sur un carnet à spirale spécialement préparé pour l’occasion, et analyser en fin d’année les résultats de ton étude ; et ceci sans une seconde envisager les conséquences sur ta santé physique ni mentale.

Voici donc la liste officielle de tes résolutions pour 2014 :

 

– prendre du poids ;

– te remettre à fumer ;

– écrire des tas de conneries inintéressantes ;

– ne pas vivre de l’écriture de tas de conneries inintéressantes ;

– ne pas gagner à l’Euromillions® ;

– être super pénible avec ta famille et tes amis*.

 

Il ne reste plus qu’à attendre (avec une certaine impatience, tu te dois de le dire) la fin de l’année pour voir si les Mauvaises Résolutions sont aussi difficiles à tenir que les Bonnes. Peut-être même moins : il y a mardi prochain un tirage de l’Euromillions® qui pourrait bien mettre un terme prématuré à ton étude.

 

*si, comme tu viens de l’inventer, on reconnaît la sagesse d’un homme à la qualité de ses amis, alors tu dois être diablement sage, parce que tes amis sont de très bonne qualité. C’est pourquoi être super pénible avec eux est une bien mauvaise résolution ; c’en serait une bonne si tes amis, comme les amis de certains, étaient tout nazes.

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18 décembre 2013 3 18 /12 /décembre /2013 14:54

Ce matin, alors que tu faisais rouler dans la paume de ta main quelque rotondité laiteuse et satinée, – ou n'était-ce pas plutôt en agrippant ton manche hardiment à deux mains (fermement mais avec douceur, un peu comme on retient entre ses doigts un oisillon tombé du nid, l'empêchant de s'échapper et de se blesser à nouveau), concentré sur le mouvement de torsion souple et dur à la fois que tu allais incontinent devoir imposer à ton corps ? Bref, ce matin, en t'adonnant aux délices du golf, tes pensées ont, une fois de plus, dérivé vers des contrées reculées ; et tu t'es alors pris à rêver à ce qui, selon toi, pourrait constituer une vie idéale.

D'une manière assez surprenante, elle ne serait finalement pas très différente de celle que tu as. On pourrait dire, tout bien considéré, que, par exemple, tes enfants te conviennent. Un malheureux employé de télédémarchage t'a proposé l'autre jour d'échanger l'un d'eux contre un IPhone© 5S©, et tu as refusé ; c'est dire ! Tu ne dis pas que, si tu en avais le pouvoir, tu ne changerais pas tel ou tel trait de caractère, mais après tout personne n’est parfait. Il en va de même pour la personne qui partage ta vie (faire ici la courte liste de quelques volumes à modifier serait certainement assez mal vu), et de ton lieu d’habitation – un bon lit, une paire de baffles de bonne qualité et une connexion à haut débit suffisant à ton bonheur.

En fait, le seul changement notable qui t’amènerait vers ta vie idéale serait l’absence de travail.

Entendons-nous bien : tu ne rechignes pas au travail, tu as même la vague impression de comprendre que le travail est indispensable à notre évolution dans la société ; il t’es juste impossible de concevoir que certaines personnes préfèrent aller travailler que, par exemple, rester au lit – ou même se lever et rester dans son salon. En ce qui te concerne, un travail acceptable serait celui décrit par le grand Stephen King (au passage, tu te dois de préciser à son propos que son prénom se prononce « Steven », et que, contrairement à tous les critiques littéraires qui ont dû essayer de faire avaler à leurs lecteurs pas mal de couleuvres ces temps-ci pour renier leurs sarcasmes et finalement arriver à le considérer comme un grand écrivain, tu savais vingt ans en arrière que ce type avait un style) : te lever le matin, et écrire quatre heures. Il te semble que si quelqu’un, appelons-le « éditeur », « mécène » ou « idiot ayant envie de dépenser son argent », te procurait suffisamment de revenus pour faire vivre ta famille – ainsi que ta ronde et blanche maîtresse dont il était question au début de cette page – et passer le Carême sous les Tropiques – le froid engourdissant quelque peu ton cerveau –, un tel programme te permettrait de fournir chaque jour une paire de lignes dignes de lecture qui, sans changer le monde ni la vie de personne, pourraient rendre joyeuses quelques dizaines de personnes. Il ne te reste dons plus qu’à être entendu ; tu te feras un plaisir de répondre personnellement à tout individu de bonne volonté.

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2 décembre 2013 1 02 /12 /décembre /2013 08:41

 

De retour

 

 

De trains

De trains tu rêves de trains

qui comme des flèches d’argent écorchent la peau de la nuit

et lui font saigner des larmes de lumière

D’avions aussi

D’avions tu rêves d’avions

qui déchirent en riant le manteau du ciel pour lui dessiner

de longues cicatrices blanches

Mais à la place

A la place des longues cicatrices blanches et des larmes de lumière

dès que tu poses tes valises

tu te retrouves à marcher

sans fin semble-t-il

(semble-t-il seulement car il y aura une fin - il y aura bien une fin selon tes informations)

sans but semble-t-il

tu te retrouves à tourner sur toi-même

sur les ruines encore chaudes et palpitantes de ta confiance

sur les ruines terribles de ta confiance

et les seules cicatrices sur ton corps

sont celles laissées

par les couteaux des gens que tu aimes

 

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