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21 juin 2015 7 21 /06 /juin /2015 21:32

L’église n’a pas changé. C’est toujours cette espèce d’entonnoir de béton gris, planté au milieu d’un quartier qui lui, depuis le temps, s’est gentiment gentryfié. Même les arbres sous lesquels les collégiens venaient entre deux cours fumer des cigarettes et taquiner les filles ne semblent pas avoir grossi. A l’intérieur, le béton est peint en jaune, sans que cela soit beaucoup plus gai ; le vitrail Mondrian est en Plexiglas, et mériterait un petit rafraîchissement. Le système de chauffage, quelques petits radiateurs à gaz alignés le long des murs, avec tuyaux et manomètres apparents, te rappelle aussi des souvenirs.

Ou plutôt des réminiscences, des volutes, des remontées de l’ennui profond qui te saisissait lorsque, dans ta jeunesse, tu venais dans cette église passer quelques heures le mercredi après-midi, pour essayer tant bien que mal de rencontrer Jésus – et accessoirement essayer de taquiner les filles du catéchisme, moins accessibles que les délurées du collège public. Le seul Jésus que tu aies jamais rencontré dans cette église est toujours là, derrière l’autel, et, comme à l’époque, tu le détailles pour faire passer le temps.

Lui non plus n’a pas grossi. Il est tracé à la craie, sur une croix faite de deux traverses de chemin de fer ; juste quelques traits, dont tu n’as toujours pas réussi, au bout de presque quarante ans, à savoir s’ils étaient le fait d’un artiste très pur ou juste d’un fainéant. On distingue sa couronne d’épines, peut-être la marque d’un coup d’épée au côté, mais pas ses yeux, ni rien de son visage. Juste quelques traits de craie sur un morceau de bois.

Le curé qui officie pour l’enterrement – aujourd’hui, bien sûr, tu ne viens plus dans cette église que pour les enterrements, c'est-à-dire bien trop souvent – semble, lui, tout acquis à la team Jésus ; il ne cesse de répéter que nous ne sommes pas dignes de Lui, qu’aucun d’entre nous ne mérite qu’Il s’occupe de nous, ou qu’Il est mort pour expier nos péchés (que, techniquement, nous n’avions pas encore commis). Tu ne sais pas quels étaient les rapports de l’homme pour qui vous êtes là, tous aussi petits que vous êtes, avec Jésus ; tu ne sais pas s’il l’aimait. Ce que tu sais, c’est qu’il aimait les gens, sa famille, les animaux, ton chien qu’il fournissait en oursons de guimauve, le whisky et les brumes des Pyrénées ; tu sais qu’il était là, avec son rire en coin ; tu sais que, dans ta famille de nombreuses barbes, il avait la plus formidable.

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